La revue de médecine interne 24 (2003) 469–473 www.elsevier.com/locate/revmed Communication brève Thrombose bilatérale des carotides : rechercher une strangulation, même très ancienne Bilateral internal carotid thrombosis: search for strangulation, even very ancient N. Tieulié a,b,*, D.L. Thi Huong a, P. Hausfater a, P. Duhaut a,c, A. Fur d, B. Wechsler a, M. Pelroth e, J.-C. Piette a b a Service de médecine interne, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France Service de médecine interne, hôpital l’Archet 1, CHU de Nice, 151, route de Saint-Antoine-de-Ginestière, BP 3079, 06200 Nice, France c Service de médecine interne, CHU Amiens-Nord, 2, place Victor-Pauchet, 80080 Amiens, France d Service de médecine interne, CHG de Troyes, 101, avenue Anatole-France, 10003 Troyes cedex, France e Service de médecine interne, Stanford University School of Medecine, California, États-Unis Reçu le 17 mars 2003 ; accepté le 31 mars 2003 Résumé Introduction. – Nous rapportons 2 cas de thrombose bilatérale des carotides internes secondaire à des tentatives répétées de strangulation. Exégèse. – Le premier, chez une femme de 31 ans, fut découvert devant des manifestations d’allure psychiatrique associées à des troubles de la mémoire et un manque du mot qui ont précédé l’installation d’une hémiplégie d’aggravation progressive malgré l’instauration d’une anti-agrégation plaquettaire par aspirine. Le second, chez une femme de 41 ans, fut découvert devant l’apparition brutale d’une hémiplégie accompagnée d’une aphasie. Le diagnostic de thrombose bilatérale des carotides internes a été porté grâce à l’angioscanner ou l’angio-IRM avec un aspect en faveur d’une dissection. Le siège de la thrombose était identique : bilatéral et symétrique, situé immédiatement après la bifurcation carotidienne. Les 2 femmes avaient des facteurs de risque d’athérome : tabagisme actif, « contraception estroprogestative », dyslipidémie et/ou antécédents familiaux cardiovasculaires. La recherche d’une thrombophilie était négative. Ces patientes étaient des femmes battues par leur conjoint et avaient subi à plusieurs reprises des tentatives de strangulation, mais qui avaient cessé 8 et 6 ans avant le diagnostic de thrombose carotidienne. Plusieurs interrogatoires conduits en tête à tête avec la malade ont été nécessaires pour établir l’étiologie. Conclusion. – Une thrombose bilatérale et symétrique des carotides internes peu après la bifurcation doit faire évoquer des tentatives répétées de strangulation, même en présence de facteurs de risque artériel, surtout s’il s’agit de femmes d’âge moyen. Le traitement n’est pas codifié mais l’anticoagulation au long cours est le plus souvent proposée. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – We report 2 cases of bilateral carotid thrombosis secondary to repeated attempts of strangulation. Exegesis. – The first case was discovered in a 31-years-old woman who complained of psychiatric manifestations, memory loss and aphasia. Subsequently she developed hemiplegia which worsened under low dose aspirin. The second case occurred in a 41-years-old woman who presented with sudden hemiplegia and aphasia. Diagnosis of bilateral carotid thrombosis based on angiocomputerized tomography or angioRMI data which suggested dissection. Thrombosis location was similar: bilateral, symmetric, close to the carotid bifurcation. Both women had atherosclerosis risk factors: current smoking, use of estrogen containing pill, dyslipidemia and/or familial cardiovascular history. Search for thrombophilia was negative. Both women had been victims of intimate partner violence with repeated attempts of strangulation, but they were stopped 8 and 6 years before the diagnosis of carotid thrombosis. Several private interviews were necessary before knowing the exact cause. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : tieulie.n@chu-nice.fr (N. Tieulié). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0248-8663(03)00148-6 470 N. Tieulié et al. / La revue de médecine interne 24 (2003) 469–473 Conclusion. – Symmetrical bilateral thrombosis of internal carotids near the bifurcation should lead to evoke repeated attempts of strangulation, even if there are arterial risk factors, and especially if the patient is a middle-aged female. The therapy is not codified but prolonged anticoagulation is generally prescribed. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Carotide ; Thrombose ; Dissection ; Strangulation ; Traumatisme Keywords: Carotid; Thrombosis; Dissection; Strangulation; Trauma La thrombose bilatérale des carotides secondaire à des tentatives répétées de strangulation est rarement rapportée. Nous décrivons 2 cas survenus chez 2 femmes victimes de violences conjugales qui avaient cessé plusieurs années avant le diagnostic. 1. Cas 1 Une femme, née en 1969, mère au foyer, était hospitalisée en février 2002 pour l’exploration étiologique d’une thrombose bilatérale des 2 carotides internes. Elle était mère de 2 enfants en bonne santé. Son compagnon actuel était chauffeur routier et elle était séparée de son premier compagnon depuis 8 ans. Dans ses antécédents familiaux, on notait un diabète, une hypertension artérielle et une hypercholestérolémie chez son père qui avait eu un infarctus du myocarde à l’âge de 35 ans. Son grand-père paternel avait également eu un infarctus du myocarde. Elle fumait 2 paquets de cigarettes par jour (intoxication évaluée à 25 paquets/année) et sa contraception était assurée par éthinylestradiol et lévonorgestrel. Elle se plaignait de céphalées et de troubles mnésiques d’aggravation progressive depuis 1994, qui avaient conduit à une prise en charge psychiatrique de 1995 à 1997. En mars 2001, elle consultait pour une recrudescence des céphalées, accompagnées de « crises » caractérisées par une suspension du langage, des réponses inadaptées aux questions et une incapacité d’exécuter des ordres simples. La durée de ces crises augmentait progressivement tandis qu’apparaissait une moindre utilisation de l’hémicorps droit, interprétée comme d’origine rhumatismale. En septembre 2001, l’électroencéphalogramme constatait un ralentissement notable de l’activité de fond à 6 Hz et des rythmes lents thêta et delta monomorphes à prévalence gauche. Le scanner cérébral mettait en évidence une hypodensité de la tête du noyau caudé. L’examen du liquide céphalorachidien était normal. L’angioscanner objectivait une thrombose de l’artère carotide interne gauche qui était obstruée jusqu’au siphon carotidien (Fig. 1), avec une inversion du flux de l’artère ophtalmique, un hypersignal T2 au niveau de la tête du noyau caudé et quelques hypersignaux punctiformes de la substance blanche périventriculaire. Une maladie de Basedow était diagnostiquée devant une hyperthyroïdie (TSH < 0,01 mUI/l (N = 0,1–4) et T4 à 60 pmol/l (N = 10–25), et des anticorps antirécepteurs de la TSH, qui fut traitée par carbimazole. Les facteurs antinucléaires étaient présents au 1/200 sans anti- Fig. 1. Angioscanner : thrombose de l’artère carotide interne gauche obstruée jusqu’au siphon carotidien. ADN, anti-ECT, ni anticorps antiphospholipides et le complément normal. L’enregistrement holter rythmique et l’échographie cardiaque étaient normaux. La cholestérolémie totale était de 6,1 g/l, LDL de 1,31 g/l. Il était conseillé l’arrêt du tabagisme et de la contraception estroprogestative, la mise en route d’un traitement anti-agrégant plaquettaire par aspirine et hypolipémiant par pravastatine. En décembre 2001, apparaissait une hémiparésie droite accompagnée d’une aggravation des troubles du langage et des dysesthésies du scalp. Une seconde IRM cérébrale mettait en évidence l’apparition de nouveaux hypersignaux de la substance blanche. L’angio-IRM montrait une thrombose controlatérale de la carotide interne droite quelques centimètres après sa division s’étendant jusqu’au siphon carotidien. Les 2 carotides externes étaient perméables et indemnes de lésion. La patiente était alors adressée dans le service. L’examen constatait une bradypsychie, une hémiparésie droite avec tendance à la rétraction des doigts, une aphasie avec un manque du mot et quelques troubles de la compréhension. Les réflexes étaient vifs mais symétriques avec hypertonie pyramidale sans signe de Hoffman ni Babinski. La pression artérielle était de 12/8. Le doppler des troncs supra-aortiques ne mettait en évidence aucune lésion parié- N. Tieulié et al. / La revue de médecine interne 24 (2003) 469–473 tale. Le flux des artères ophtalmiques était inversé. L’artère carotide interne gauche, de diamètre régulier, était occluse. La carotide interne droite apparaissait perméable mais filiforme. Les artères vertébrales étaient de bon calibre. La tomoscintigraphie cérébrale de perfusion montrait une diminution de la réserve hémodynamique dans les régions perfusées par les artères cérébrales antérieures et moyennes. L’électrocardiogramme, l’échographie cardiaque transœsophagienne, l’échodoppler des artères rénales, du tronc cœliaque et des artères mésentériques, l’angioscanner de l’aorte thoracique, l’examen du fond d’œil, la biopsie de l’artère temporale gauche étaient normaux. Les dosages de l’antithrombine III, des protéines C et S, de l’homocystéinémie, la recherche d’une hémoglobinurie paroxystique nocturne, d’anticorps antiphospholipides, anti-bêta2 GP1 et d’une mutation du gène de la prothrombine étaient normaux. Il existait une mutation hétérozygote du facteur V Leiden. En l’absence de cause évidente à la thrombose bilatérale des carotides, l’interrogatoire était repris, permettant d’apprendre que la malade avait subi des violences conjugales avec des tentatives de strangulation répétées jusqu’en 1994, date de la séparation avec son ancien compagnon. La radiographie de l’os hyoïde ne retrouvait pas de fracture. Un traitement anticoagulant prolongé par fluindione fut proposé. 2. Cas 2 Une femme, née en 1961, agent de service municipal, mère de 4 enfants, était hospitalisée dans le service par le biais des urgences en mars 2002 pour l’exploration étiologique d’une hémiplégie brachiofaciale droite associée à une aphasie apparue brutalement 3 j auparavant. Dans ses antécédents familiaux, on notait un psoriasis chez sa sœur et un diabète maternel. Elle-même fumait un paquet de cigarettes par jour (10 paquets/année). Elle n’avait pas de contraception. L’examen neurologique retrouvait une paralysie brachiofaciale droite flasque et une aphasie. La pression artérielle était de 13/8. Le scanner cérébral mettait en évidence de multiples hypodensités intéressant la corona radiata gauche et la région frontale droite, évoquant des séquelles d’accidents ischémiques. Des calcifications étaient retrouvées sur le trajet de l’artère carotide interne et l’artère sylvienne droite. L’échodoppler des troncs supra-aortiques trouvait une occlusion de l’artère carotide interne gauche à son origine, avec un flux inversé au niveau de l’artère ophtalmique gauche. L’artère carotide interne droite était grêle mais perméable. Les 2 artères vertébrales étaient en hyperdébit ainsi que les artères communicantes postérieures. Il existait une discrète plaque d’athérome au niveau du bulbe carotidien droit. L’angio-IRM cérébrale montrait des hypersignaux dans le territoire jonctionnel sous-cortical gauche et cérébral antérieur droit. Elle montrait un hypersignal de la carotide interne gauche, confirmait l’occlusion bilatérale des carotides internes débutant à leur origine. L’angioscanner retrouvait 2 carotides internes 471 d’aspect filiforme après le bulbe, avec une double tonalité traduisant une dissection, sans anomalie de l’aorte thoracoabdominale. La tomoscintigraphie cérébrale de perfusion montrait une diminution de la réserve hémodynamique dans les territoires sylvien postérieur et cérébral postérieur gauches et des 2 cérébrales antérieures. L’électrocardiogramme, l’échographie doppler artériel des membres supérieurs et inférieurs, l’échographie cardiaque transœsophagienne étaient normaux. Les dosages de l’antithrombine III, des protéines C et S, de l’homocystéinémie, la recherche d’anticorps antiphospholipide, anti-bêta2 GP1, d’une mutation du gène des facteurs V Leiden et de la prothrombine, d’une hémoglobinurie paroxystique nocturne étaient négatifs ou normaux. La reprise de l’interrogatoire permettait d’apprendre qu’elle avait été victime de violences conjugales avec plusieurs tentatives de strangulation, les dernières datant de 6 ans avant le début de la symptomatologie. La radiographie de l’os hyoïde ne retrouvait pas de fracture. Un traitement par fluindione a été proposé. La patiente a été perdue de vue. 3. Discussion Ces 2 cas étonnent par leur similitude, en dehors des manifestations d’allure psychiatrique qui ont fait errer le diagnostic avant l’apparition de manifestations déficitaires dans le premier. Dans les 2 cas, le diagnostic de thrombose bilatérale des carotides fut affirmé par l’angio-IRM et/ou l’angioscanner. Il existait des facteurs de risque artériels tels qu’une contraception estroprogestative, des antécédents familiaux, une dyslipidémie, un tabagisme qui n’ont pas fait arrêter l’exploration étiologique devant le caractère bilatéral inhabituel de l’atteinte carotidienne. Dans les 2 cas, le siège de la thrombose était bilatéral et symétrique, situé peu après la bifurcation carotidienne. Mais surtout, les violences conjugales avaient apparemment cessé 8 et 6 ans auparavant et n’ont été signalées que par la reprise de l’interrogatoire conduit en tête à tête plusieurs jours après l’admission. Au plan anatomique, les carotides primitives ont un trajet cervical où elles sont en position sous-cutanée, sans protection musculaire ou osseuse. Les carotides internes cheminent sous la peau avant de pénétrer dans le crâne par le sinus pétreux, au niveau de la quatrième vertèbre cervicale, en regard du cartilage thyroïdien. C’est dans la portion cervicale extracrânienne, juste après la bifurcation de la carotide primitive qu’ont lieu le plus fréquemment les traumatismes de la carotide interne [1]. Quatre types de mécanisme de thrombose carotidienne ont été décrits par Crissey [2]. Le type I résulte d’un traumatisme direct du cou et ne représenterait qu’un très petit nombre de cas. Le type II résulte de l’hyperextension et de la rotation controlatérale de la tête : il représenterait 90 % des causes de thrombose carotidienne et est essentiellement observé au cours des accidents de la circulation (« coup du lapin », airbag), de ski et des montagnes russes. Le type III correspond à un traumatisme intra-oral et concerne plus particulièrement les enfants (chute avec un 472 N. Tieulié et al. / La revue de médecine interne 24 (2003) 469–473 stylo dans la bouche). Enfin le type IV résulte de fractures complexes du massif basilaire [1]. Au cours des strangulations, la thrombose carotidienne résulte d’un traumatisme de type I par compression directe de la carotide primitive après sa bifurcation contre le relief osseux [2]. Au plan physiopathologique, la lésion de l’intima carotidienne est le point de départ de la thrombose, soit in situ, soit par le biais d’une dissection chronique de la paroi artérielle [2]. La dissection peut s’installer après un délai plus ou moins long, mais elle serait constante [1]. La présence de facteurs prothrombotiques constitutionnels ou d’un athérome pourrait favoriser le processus thrombotique. Deux cas de dissection carotidienne bilatérale associée à une mutation hétérozygote du facteur Leiden correspondent probablement d’une coïncidence fortuite [3]. Le caractère parfois modéré de la symptomatologie pourrait être expliqué par un polygone de Willis fonctionnel. La fréquence des thromboses carotidiennes bilatérales post-traumatiques est difficile à évaluer. En 1998, Gouny [4] n’avait recensé que 22 cas de dissections carotidiennes bilatérales traumatiques publiées depuis 1973. Dans 26 % des cas, l’issue fut fatale en moins d’une semaine. La littérature concernant les thromboses carotidiennes secondaires à des tentatives de strangulation est pauvre, d’une part parce que la strangulation ou la pendaison entraîne généralement le décès immédiat ou à un bref délai [5] et, d’autre part, parce qu’il s’agit d’une pathologie probablement sous-estimée. La mise en évidence d’une fracture de l’os hyoïde à l’examen autopsique est en faveur d’une strangulation. La strangulation peut également être responsable d’une thrombose carotidienne unilatérale [6]. Malek [7], à propos de 3 cas de dissection bilatérale des carotides internes secondaire à des tentatives de strangulation publiés en 2000, n’avait relevé que 3 cas antérieurement rapportés dans la littérature anglo-saxonne, ce qui est sans doute sous-estimé. Comme dans nos 2 cas, il s’agissait de femmes d’âge moyen (de 24 à 43 ans), victimes de violences conjugales [6–8]. Dans une série de 19 cas d’occlusion bilatérale des carotides internes observés entre 1979 et 1990, les tentatives de strangulation ne sont pas citées comme étiologie mais n’avaient été retenues dans l’étude que les occlusions supposées d’origine athéromateuse [9]. Le tabagisme et la dyslipidémie constituaient les facteurs de risque principaux, présents chez la quasi-totalité des patients. Cependant, le sujet le plus jeune avait 55 ans et dans 2 cas il s’agissait de femmes. Dans la série de Wade, à propos de 74 cas de thromboses carotidiennes bilatérales dont seulement 8 femmes, l’âge moyen des malades était de 57 ans, le plus jeune avait 32 ans [10]. L’hypothèse d’une strangulation n’était pas évoquée. Dans la revue de la littérature de 23 cas de dissection carotidienne bilatérale faite par Gouny [4], il s’agissait d’accidents de la voie publique ou d’avion. Smith a constaté que seulement 39 % des 101 femmes victimes de tentatives de strangulation demandaient une prise en charge médicale alors qu’elles présentaient des lésions du cou, des manifestations neurologiques et/ou des troubles psychologiques d’autant plus fréquents que les violences étaient répétées [11]. Les tentatives de strangulation peuvent également concerner les enfants [12]. En fait, la strangulation paraît un acte assez banal au cours des violences domestiques : sur 62 femmes qui avaient demandé asile dans des foyers d’hébergement dédiés, 42 avaient été victimes d’une tentative de strangulation par leur partenaire sexuel, 1 par leur mère, 1 par un étranger et 1 par un ami [13]. La symptomatologie des thromboses carotidiennes bilatérales est variable. Elles peuvent être asymptomatiques ou leur symptomatologie dominée par des manifestations psychiatriques [1,10]. Dans la série de Wade [10], 20 % des patients n’avaient jamais eu d’accident vasculaire cérébral et 28 % avaient un examen neurologique normal. Le délai entre la strangulation et les manifestations déficitaires est parfois long. Malek a décrit 3 cas où le diagnostic a été porté dans les 3 mois à 1 an suivant les tentatives de strangulation [7]. Le délai de 8 ans entre la fin des tentatives de strangulation et l’apparition de l’hémiplégie dans le cas no 1 paraît donc le plus long rapporté à ce jour. Ce délai est difficile à expliquer, mais pose le problème de la pérennisation de violences non avouées. Cependant, Noguchi [14] a rapporté le cas d’une tentative de pendaison où les manifestations neurologiques ont récidivé 2 ans plus tard. Elles ont été attribuées à une dissection chronique de la carotide commune, responsable d’une sténose à 80 %. Les hommes sont moins souvent concernés ou de façon anecdotique comme le cas du pêcheur rapporté par Kiani [15], décédé après avoir été accidentellement étranglé par le fil de sa canne à pêche. La littérature s’enrichit de cas fatals d’asphyxie par auto- ou hétéroérotisme [16,17]. L’autoérotisme serait responsable de plus de 1000 décès par an aux États-Unis [17]. Il faudrait l’évoquer devant des thromboses bilatérales de carotide chez des sujets jeunes sans facteurs de risque vasculaire. Cette étiologie n’avait pas été évoquée pour le jeune patient de Buscaglia chez lequel l’hypothèse d’une thrombopathie a été évoquée [18]. La funeste diffusion du « jeu du foulard » doit faire craindre une recrudescence de cette pathologie chez les adolescents, l’interrogatoire des cliniciens, pédiatres ou non, devant être adapté en conséquence. Le diagnostic de ces thromboses bilatérales repose sur l’imagerie : doppler, angioscanner et surtout angio-IRM. L’aspect bilatéral et symétrique de l’occlusion de la carotide interne peu après la bifurcation doit faire évoquer par principe une dissection. Le doppler peut montrer un écho endoluminal correspondant au faux chenal thrombosé [3,4] ; le plus souvent, elle ne montre qu’une sténose ou une dilatation anévrismale qui, en l’absence d’athérome, suggèrent une dissection. L’artériographie conventionnelle, méthode diagnostique de référence, est actuellement supplantée par l’angioscanner et surtout l’angio-IRM [4]. En effet, outre les signes indirects de dissection (sténose, pseudoanévrisme, occlusion) mis en évidence par l’artériographie, l’angio-IRM peut montrer un hypersignal pariétal correspondant au faux chenal thrombosé et la persistance d’un signal correspondant au flux résiduel dans l’artère lésée là où l’artériographie fait conclure à une occlusion. Les patients doivent bénéficier d’une surveillance radiologique dans les 3 à 5 mois suivant le N. Tieulié et al. / La revue de médecine interne 24 (2003) 469–473 diagnostic afin d’évaluer l’évolution de la dissection. Dans près des deux tiers des cas, les lésions régressent ; dans un tiers des cas, elles restent stables et dans 5 % des cas l’évolution se fait vers l’aggravation avec la constitution d’un pseudoanévrisme [4]. Le traitement vise à prévenir l’embolisation et l’aggravation de la dissection mais il n’est pas codifié puisqu’il va de l’abstention au traitement chirurgical en passant par l’anti-agrégation plaquettaire, l’anticoagulation et l’angioplastie [4,7,10,19–21]. Cependant, il faut souligner que des manifestations déficitaires ont récidivé sous aspirine dans notre premier cas. La thrombectomie avec reconstruction artérielle a été proposée en cas de dissection artérielle menaçante [1]. Le traitement anticoagulant au long cours aurait cependant le meilleur rapport bénéfice/risque [4]. La récidive de dissection après guérison (évaluée par doppler ou angiographie) d’une première dissection spontanée uni- ou bilatérale de la carotide interne peut intéresser la même artère ou une artère différente, notamment en cas de fibrodysplasie [21]. Les violences conjugales sont un délit et passibles du tribunal correctionnel. L’obligation de porter secours à toute personne qui peut faire l’objet d’un crime ou d’un délit oblige le médecin d’entreprendre tout ce qui est en son pouvoir pour lui porter assistance, notamment une information de la justice. En conclusion, une thrombose bilatérale et symétrique des carotides internes siégeant peu après la bifurcation doit faire évoquer par principe la possibilité d’une tentative de strangulation, même en présence de facteurs de risque artériel, surtout s’il s’agit de femmes ou de sujets jeunes. Le délai entre les tentatives de strangulation et la survenue de manifestations déficitaires pouvant atteindre plusieurs années, ces tentatives ne sont pas signalées spontanément par la malade et seul un interrogatoire soigneux peut conduire au diagnostic. [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] Références [1] [2] [3] Mulloy JP, Flick PA, Gold RE. Blunt carotid injury. Radiology 1998; 207:571–85. Crissey MM, Berstein EF. 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