revue neurologique 167 (2011) 615–618 Brève communication Embolie gazeuse cérébrale iatrogène d’origine veineuse sans signe respiratoire : un mécanisme rétrograde ? Iatrogenic venous cerebral air embolism without pulmonary manifestation: A retrograde mechanism? N. Raposo a,d,*, F. Faiz a, J.-F. Albucher a,d, E. Dugert c, F. Bonneville c, P. Meliani b, F. Chollet a,d a Service de neurologie vasculaire, hôpital Purpan, pavillon Riser, CHU de Toulouse, 31059 Toulouse cedex 3, France Service de maladies infectieuses et tropicales, hôpital Purpan, CHU de Toulouse, 31059 Toulouse, France c Service de neuroradiologie, hôpital Purpan, CHU de Toulouse, 31059 Toulouse, France d Inserm U825, imagerie cérébrale et handicap neurologique, 31059 Toulouse, France b info article r é s u m é Historique de l’article : Introduction. – Les embolies gazeuses peuvent être des complications rares de différentes Reçu le 8 juillet 2010 procédures médicales. Les embolies gazeuses cérébrales (EGC) d’origine veineuse sont Reçu sous la forme révisée le généralement secondaires à une embolie paradoxale. Nous rapportons le cas d’une embolie 16 août 2010 gazeuse cérébrale d’origine veineuse, isolée dont le mécanisme n’est pas une embolie Accepté le 15 octobre 2010 paradoxale. Disponible sur Internet le Observation. – Un homme de 63 ans a présenté quelques minutes après la déconnexion 28 décembre 2010 accidentelle de cathéter veineux central des clonies de l’hémicorps gauche, suivies d’une hémiplégie gauche, sans signe cardio-respiratoire associé. Le scanner cérébral a mis en Mots clés : évidence des bulles d’air dans plusieurs sillons corticaux en région frontale droite. L’IRM Embolie gazeuse cérébrale encéphalique a montré une lésion corticale frontale droite en hypersignal FLAIR et diffusion, Cathéter veineux central sans restriction du coefficient apparent de diffusion. L’échocardiographie trans-œsopha- Imagerie par résonance magnétique gienne ne retrouvait pas de foramen ovale perméable. Conclusion. – Dans ce cas d’EGC d’origine veineuse, l’absence de signe cardio-pulmonaire et Keywords: de foramen ovale perméable et le tableau neuroradiologique n’accréditent pas l’hypothèse Cerebral air embolism d’une embolie paradoxale. L’hypothèse d’une embolie veineuse cérébrale par voie rétro- Central venous catheter grade est envisagée. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Magnetic resonance imaging abstract Introduction. – Air embolism is a rare complication of various invasive medical procedures. Venous cerebral air embolism is usually the consequence of paradoxical embolism. We report a case of isolated cerebral air embolism resulting from a non-paradoxical mechanism. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : raposo.n@chu-toulouse.fr (N. Raposo). 0035-3787/$ – see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurol.2010.10.004 616 revue neurologique 167 (2011) 615–618 Case report. – A few minutes after his central venous catheter had been accidentally disconnected, a 63-year-old man developed left-sided rhythmic jerking movements followed by left hemiplegia. There were no associated cardiologic or pulmonary signs. Brain CT showed air bubbles in the right frontal cortical sulci. The brain MRI DWI and FLAIR sequences showed a high intensity right frontal cortical lesion without reduction in ADC. Transesophageal echocardiogram did not find a patent foramen ovale. Conclusions. – In this case of venous cerebral air embolism, the lack of any cardiopulmonary manifestation, the lack of a patent foramen ovale and the neuroradiological findings are not in favor of the hypothesis of paradoxical embolism. The hypothesis of retrograde venous cerebral air embolism is discussed. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. 1. Introduction L’embolie gazeuse cérébrale (EGC) iatrogène est une complication de nombreuses procédures médicales (Muth et Shank, 2000 ; Scott et al., 2006). Les EGC induites par les cathéters veineux centraux surviennent lors de la pose, du changement et surtout de la déconnexion accidentelle du cathéter (Heckmann et al., 2000). On distingue les EGC d’origine veineuse des EGC d’origine artérielle. Une EGC d’origine artérielle est due à l’irruption d’air dans les veines pulmonaires ou directement dans les artères systémiques entraı̂nant des occlusions artérielles systémiques. L’EGC d’origine veineuse survient lorsque de l’air entre dans le système veineux systémique. L’air est alors transporté jusqu’aux poumons à l’origine de dyspnée, troubles du rythme cardiaque, hypertension pulmonaire, insuffisance ventriculaire droite et parfois d’un arrêt cardiaque. Dans des conditions particulières (foramen ovale perméable, fistule pulmonaire), une embolie paradoxale peut être à l’origine d’occlusions artérielles systémiques terminales. Nous rapportons le cas d’une EGC d’origine veineuse, sans foramen ovale perméable, et en discutons le mécanisme. 2. Observation Un homme de 63 ans était hospitalisé dans le service de maladies infectieuses pour la prise en charge d’une pneumocystose pulmonaire survenue dans un contexte de chimiothérapie pour lymphome folliculaire. Un traitement par BACTRIM lui était administré par cathéter veineux central en position sous-clavière gauche. Lors d’un changement de perfusion, le cathéter veineux fut accidentellement déconnecté pendant plusieurs minutes alors que le patient était allongé. Le patient resta asymptomatique dans l’immédiat. Quelques minutes plus tard, en se levant, il présenta des clonies brachiofaciales gauches pendant dix minutes, suivies d’une hémiplégie gauche. L’examen clinique réalisé 30 minutes plus tard retrouvait une hémiplégie gauche flasque, proportionnelle, une dysarthrie et une hypoesthésie de l’hémicorps gauche. Il n’existait pas de trouble de la vigilance ni de confusion. Il ne présentait pas de dyspnée ni d’autre signe cardio-respiratoire. Aucun trouble du rythme cardiaque n’était enregistré. Une crise comitiale partielle motrice hémicorporelle gauche avec déficit postcritique fut évoquée. L’examen tomodensitométrique cérébral (Fig. 1) ne retrouvait pas de signe précoce d’ischémie, d’hémorragie intracérébrale ou de processus expansif. Il existait néanmoins, en région corticale frontale droite, dans plusieurs sillons corticaux, plusieurs petites lésions rondes, hypodenses, de tonalité aérique, évoquant une EGC. Durant les heures suivantes, le patient resta déficitaire et présenta à nouveau plusieurs crises comitiales partielles motrices de l’hémicorps gauche. Au décours, l’électroencéphalogramme retrouvait un foyer d’ondes lentes frontal droit. Un traitement antiépileptique par levetiracetam fut institué et fut suivi de l’arrêt des crises comitiales. Le patient resta hémiplégique plus de 24 heures après la dernière crise. L’IRM encéphalique réalisée le lendemain (Fig. 2) retrouvait une lésion cortico-sous-corticale frontale droite apparaissant en hypersignal FLAIR. Seul le cortex y apparaissait en hypersignal diffusion, sans restriction évidente du coefficient apparent de diffusion (CAD), alors qu’au contraire, la substance blanche était le siège d’une augmentation du CAD. Cette lésion n’avait pas de systématisation artérielle. Sur la séquence en T2EG, il n’existait pas d’image de thrombose veineuse cérébrale. Les bulles d’air n’étaient visualisées sur aucune des séquences. Les séquences angiographiques artérielles et veineuses étaient normales. Une échocardiographie trans-œsophagienne (ETO) avec injection intraveineuse de solution saline agitée ne retrouvait Fig. 1 – Scanner cérébral réalisé une heure après le début des symptômes. Des bulles d’air sont visualisées dans plusieurs sillons corticaux frontaux droits. Brain CT one hour after symptom onset showing air bubbles in right frontal cortical sulci. revue neurologique 167 (2011) 615–618 617 Fig. 2 – IRM encéphalique réalisée 24 heures après le début des symptômes. Lésion cortico-sous-corticale frontale droite apparaissant en hypersignal diffusion sur le cortex mais (A) avec augmentation de l’ADC (B), et en hypersignal FLAIR (C). La séquence T2EG (D) ne retrouve pas d’image en hyposignal en faveur de bulle d’air persistante ou de thrombose veineuse corticale. Brain MRI 24 hours after symptom onset. Right frontal cortical lesion with DWI hyperintensity (A), increased ADC (B) and FLAIR hyperintensity (C). No image of persistent air bubble or cortical vein thrombosis was seen on T2EG sequence (D). pas de foramen ovale perméable. Le doppler trans-crânien avec injection intraveineuse de solution saline agitée à la recherche d’un shunt droit-gauche n’avait pas pu être réalisé du fait d’une mauvaise fenêtre acoustique. L’évolution clinique était marquée par l’absence de récidive comitiale sous traitement anti-épileptique. Le déficit sensitivomoteur de l’hémicorps gauche s’était amélioré en quelques jours mais le patient gardait une discrète hémiparésie gauche 15 jours après le début des symptômes. 3. Discussion Le cas d’EGC que nous rapportons est typique du fait des circonstances de survenue (déconnexion accidentelle d’un cathéter central), de la présentation clinique (comitialité partielle et signe de focalisation déficitaire) et de l’aspect radiologique (visualisation de bulles sur le scanner cérébral initial). Néanmoins, les EGC d’origine veineuse s’accompagnent habituellement de signes cardio-respiratoires concomitants (Muth et Shank, 2000). Or dans le cas que nous rapportons, malgré une origine veineuse systémique certaine, le patient n’a pas présenté de dyspnée ou de trouble du rythme cardiaque. La physiopathologie de cette EGC n’apparaı̂t pas univoque. Dans le cadre des EGC d’origine veineuse, il est communément admis que les bulles d’air sont véhiculées jusqu’au cœur droit, puis aux poumons, entraı̂nant une augmentation des pressions du cœur droit. Ainsi, une embolie paradoxale peut survenir en cas de présence d’un foramen ovale perméable ou d’une fistule arterio-veineuse pulmonaire, entraı̂nant une occlusion artérielle cérébrale terminale. Dans le cas présent, deux éléments font discuter ce mécanisme physiopathologique : l’absence de démonstration d’un shunt droit-gauche et la topographie terminale des bulles d’air. L’hypothèse d’une embolie paradoxale est difficile à soutenir chez ce patient du fait de l’absence de signe d’hypertension pulmonaire, d’une part, et de l’absence de foramen ovale perméable en échographie transœsophagienne, d’autre part. Un shunt droit-gauche reste néanmoins possible via un foramen ovale perméable de petite taille non visible en échographie ou une fistule artério-veineuse pulmonaire. L’analyse rétrospective d’un scanner thoracique réalisé quelques jours avant l’EGC dans le cadre de la pneumocystose, n’a pas permis de retrouver de fistule pulmonaire. Un doppler trans-crânien avec injection intraveineuse de solution saline agitée n’a pu être pratiqué. L’absence de distribution artérielle des bulles d’air constitue le second aspect de la discussion. L’embolie paradoxale à l’origine d’une EGC suppose une occlusion artérielle cérébrale terminale dans des vaisseaux cérébraux de 30 à 60 mm (Muth et Shank, 2000). Dans le cas présent, la topographie des bulles d’air n’est pas univoquement artérielle. La disposition serpigineuse des bulles, exclusivement dans les sillons corticaux sans aucune bulle dans le parenchyme cérébral peut faire discuter une occlusion veineuse corticale cérébrale. De plus, les lésions du parenchyme cérébral visible en IRM n’ont pas les caractéristiques d’un infarctus artériel cérébral puisqu’elles n’ont pas de systématisation artérielle, d’une part, touchant en continuité le territoire cérébral moyen et antérieur, et que ces lésions en hypersignal diffusion ne sont pas associées à une restriction du CAD, d’autre part. Ces lésions en hypersignal diffusion avec augmentation hétérogène du CAD correspondraient davantage aux anomalies IRM associées à des phénomènes épileptiques ou à un infarctus veineux. En effet, tant dans les états de mal épileptique partiels que dans les infarctus veineux, et en fonction de la nature cytotoxique, vasogénique ou mixte de l’œdème cérébral, le CAD peut être diminué (Forbes et al., 2001 ; Szabo et al., 2005), augmenté (Scott et al., 2006), ou les deux (Ducreux et al., 2001 ; Hong et al., 2004 ; Lovblad et al., 2001 ; Mullins et al., 2004). Plusieurs cas d’EGC d’origine veineuse sans shunt droitgauche ont été rapportés (Brouns, 2006 ; Nedelmann et al., 2007) soulevant l’hypothèse d’occlusions veineuses cérébrales 618 revue neurologique 167 (2011) 615–618 par voie rétrograde favorisées par une insuffisance valvulaire jugulaire (Nedelmann et al., 2007 ; Schlimp et al., 2005 ; Scott et al., 2006). Le cas que nous présentons nous conduit à privilégier cette hypothèse. L’absence de signe cardio-pulmonaire associé, l’absence de foramen ovale perméable ou de fistule pulmonaire et l’aspect radiologique des lésions cérébrales sont autant d’arguments en faveur d’un tel mécanisme physiopathologique. Enfin, l’hypothèse d’un trajet veineux rétrograde des bulles d’air reposant sur le poids spécifique de l’air inférieur à celui du sang n’est valable que dans des conditions d’orthostatisme. Or, c’est précisément lors du passage de la position allongée à la position debout que notre patient a été symptomatique. Conflit d’intérêt Aucun. r é f é r e n c e s Brouns R, De Surgeloose D, Neetens I, De Deyn PP. Fatal venous cerebral air embolism secondary to a disconnected central venous catheter. Cerebrovasc Dis 2006;21:212–4. Ducreux D, Oppenheim C, Vandamme X, Dormont D, Samson Y, Rancurel G, et al. Diffusion-weighted imaging patterns of brain damage associated with cerebral venous thrombosis. AJNR Am J Neuroradiol 2001;22:261–8. Forbes KP, Pipe JG, Heiserman JE. 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