NEUROL-1322; No. of Pages 5
revue neurologique xxx (2014) xxx–xxx

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Mémoire

Amusie acquise et anhédonie musicale
Acquired amusia and musical anhedonia
C. Hirel a, Y. Lévêque b,c,d, G. Deiana e, N. Richard f, T.-H. Cho a,
L. Mechtouff a, L. Derex a, B. Tillmann c,d, A. Caclin b,d, N. Nighoghossian a,*
a

Service de neurologie vasculaire, hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, hospices civils de Lyon, université Lyon 1,
59, boulevard Pinel, 69677 Bron, France
b
Inserm, U1028, CNRS, UMR5292, centre de recherche en neurosciences de Lyon, équipe dynamique cérébrale et
cognition, centre hospitalier Est, bâtiment B13, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron, France
c
Inserm, U1028, CNRS, UMR5292, centre de recherche en neurosciences de Lyon, équipe cognition auditive et
psychoacoustique, centre hospitalier Est, bâtiment B13, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron, France
d
Université Lyon 1, 43, boulevard du 11-Novembre-1918, 69100 Villeurbanne, France
e
Service de neuro-radiologie, hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, hospices civils de Lyon, université Lyon 1, 59,
boulevard Pinel, 69677 Bron, France
f
Centre de neuroscience cognitive, UMR 5229, CNRS, 67, boulevard Pinel, 69675 Bron cedex, France

info article

r é s u m é

Historique de l’article :

L’amusie est définie comme une agnosie auditive spécifique à la musique, consécutive à une

Reçu le 23 octobre 2013

lésion cérébrale, ou congénitale. Elle est parfois associée à une anhédonie musicale, dont les

Reçu sous la forme révisée le

corrélats anatomo-cliniques sont mal connus. Nous rapportons ici le cas d’un patient de

28 mars 2014

43 ans ayant présenté en janvier 2012 un accident ischémique cérébral sylvien droit

Accepté le 28 mars 2014

affectant principalement le cortex temporal supérieur, notamment la partie latérale du
gyrus de Heschl et la partie postérieure du gyrus temporal supérieur (aires 21 et 22 de
Brodmann). Les tests neuropsychologiques retrouvaient une amusie associée à une anhédonie musicale. L’amusie symptomatique d’une lésion temporale droite est classique,

Mots clés :

toutefois elle est exceptionnellement associée à une anhédonie musicale. Cette observation

Amusie

pose la question des relations entre les réseaux cérébraux impliqués dans le traitement de la

Anhédonie

perception musicale et des émotions musicales.
# 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Accident ischémique cérébral
Circuits
Emotion
Keywords:
Amusia
Anhedonia
Stroke
Circuits
Emotion

abstract
Amusia is defined as an auditory agnosia, specifically related to music, resulting from a
cerebral lesion or being of congenital origin. Amusia is rarely associated to musical
anhedonia. We report the case of a 43-year-old patient who suffered in January 2012
from a right ischemic lesion affecting the superior temporal cortex, in particular lateral
Heschl Gyrus and the posterior part of the Superior Temporal Gyrus (Brodmann areas 21
and 22). Neuropsychological tests revealed an amusia combined to musical anhedonia.

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : norbert.nighoghossian@wanadoo.fr (N. Nighoghossian).
http://dx.doi.org/10.1016/j.neurol.2014.03.015
0035-3787/# 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : Hirel C, et al. Amusie acquise et anhédonie musicale. Revue neurologique (2014), http://dx.doi.org/10.1016/
j.neurol.2014.03.015

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1.

Introduction

L’amusie est définie comme une agnosie auditive consécutive à
une lésion cérébrale ou d’origine congénitale. Elle s’exprime
selon plusieurs modalités : amusie réceptive ou expressive,
alexie musicale, amnésie musicale ou instrumentale, agraphie
musicale, troubles du rythme [1]. L’amusie acquise est le plus
souvent la conséquence d’une lésion vasculaire ischémique ou
hémorragique. Elle est plus fréquente et sévère en présence de
lésions de l’hémisphère droit [2]. Ce symptôme fait rarement
l’objet d’une plainte spontanée et reste peu documenté à l’issue
d’un accident vasculaire cérébral. Par ailleurs, les procédures
utilisées pour diagnostiquer l’amusie n’incluent généralement
pas l’évaluation des émotions musicales. L’amusie semble
rarement associée à une perte des émotions musicales ou de
l’appréciation de la musique [3,4]. Inversement, quelques cas
isolés d’anhédonie musicale sans atteinte de la perception de la
musique ont été rapportés, suite à des lésions du système
limbique [5] ou du lobe pariétal droit [6]. Nous rapportons ici
l’association exceptionnelle des deux syndromes.

2.

Observation

Un patient âgé de 43 ans, droitier, cadre commercial, amateur
de musique, fut hospitalisé le 30 janvier 2012 en raison de

l’installation brutale d’une maladresse du membre supérieur
gauche associée à une dysarthrie. À l’admission, l’examen
neurologique décelait une hémianopsie latérale homonyme
gauche et une dysarthrie. L’IRM en séquence de diffusion
(DWI) objectivait une souffrance ischémique du territoire
sylvien postérieur droit symptomatique d’une occlusion du
segment M2 de l’artère cérébrale moyenne droite. Un
traitement par thrombolyse intraveineuse (rt-PA) fut administré 4 heures après le début des symptômes. L’évolution fut
favorable. Le bilan étiologique révéla un foramen ovale
perméable, la recherche d’une prise de toxique était négative.
Un traitement anti-agrégant plaquettaire fut prescrit.
Lors d’une consultation le 11 juillet 2012, le patient
rapportait spontanément une perte d’intérêt pour la musique,
et notamment une perte des émotions qu’il ressentait
auparavant lors de l’écoute de la musique. Le patient n’était
pas déprimé à l’interrogatoire ainsi qu’en regard du score à
l’échelle d’Hamilton. Le patient ne signalait pas d’anhédonie
dans d’autres secteurs tels que les arts, le goût ou les odeurs.
L’anhédonie affectait sélectivement la musique.
Le caractère inhabituel de la plainte entraı̂na une série
d’explorations neuropsychologiques orientées sur la perception musicale et le ressenti émotionnel, menées les 18 avril et
13 mai 2013. Préalablement à la réalisation de ces tests, un
examen de l’audition révéla une perte auditive moyenne sur
les hautes fréquences (> 2000 Hz), n’expliquant pas la plainte,
et les potentiels évoqués auditifs étaient normaux.

Fig. 1 – Analyse descriptive. Gauche : étude des émotions sur les visages (40 visages de Ekman, 10 par émotion) [11], avec
catégorisation (Joie/Tristesse/Peur/Neutre) et ressenti des émotions sur une échelle de 1 (faible) à 5 (fort), par le patient (F.G.)
et un témoin apparié. Droite : étude des émotions sur les musiques au piano (40 extraits, 10 par émotion) [10] avec
catégorisation (Joie/Tristesse/Peur/Sérénité) et ressenti des émotions sur une échelle de 1 (faible) à 5 (fort), par le patient
(F.G.) et un témoin apparié.
Pour citer cet article : Hirel C, et al. Amusie acquise et anhédonie musicale. Revue neurologique (2014), http://dx.doi.org/10.1016/
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La perception musicale fut évaluée à l’aide des six tests de
la batterie MBEA (Montréal Battery for the Evaluation of
Amusia) [7]. Dans les quatre premiers tests, le sujet compare
des paires de mélodies et doit détecter successivement des
changements de tonalité, de contour mélodique, d’intervalle
et de rythme. Le cinquième test évalue la reconnaissance de la
métrique (valse ou marche) et le dernier test la mémoire
incidente. Le score moyen MBEA du patient était de 21,3/30
(inférieur à la valeur limite en-dessous de laquelle le
participant est considéré comme amusique : 23/30), avec un
score pathologique dans les tests de tonalité, intervalle et
métrique, confirmant une amusie. La discrimination fréquentielle fine fut évaluée à l’aide d’un seuil de discrimination selon
la procédure adaptative décrite dans Tillmann et al. [8], et était
comprise dans la norme (seuil à 0,31 demi-ton).
L’étude de la perception des émotions dans la parole,
effectuée à l’aide de la batterie MEC (Montréal Évaluation de la
Communication) [9], n’objectiva pas d’altération de la reconnaissance des intonations, ni pour la prosodie linguistique
(question/affirmation/ordre), ni pour la prosodie émotionnelle
(triste/heureux/fâché), avec respectivement un score de 11/
12 et 12/12. L’analyse de la perception des émotions fut
complétée par une tâche de catégorisation d’émotions,
accompagnée d’un jugement de l’intensité de ces émotions,
à partir d’extraits musicaux tirés de Vieillard et al. [10], et d’un
matériel visuel, les visages d’Ekman [11]. Le patient devait

3

identifier l’émotion exprimée par chaque item (joie, tristesse,
peur, sérénité pour la musique, et joie, tristesse, peur,
neutralité pour les visages) puis coter l’intensité de l’émotion
sur une échelle de 1 à 5 (de faible à fort). Les scores du patient
sont présentés sur la Fig. 1, en parallèle avec un sujet témoin
non musicien apparié en sexe, âge et niveau d’étude. La
catégorisation des émotions par le patient était normale, tant
pour les visages que pour les extraits musicaux. En revanche,
si l’intensité du ressenti émotionnel était normale pour les
visages, elle était très atténuée pour la musique, en accord
avec la plainte du patient. En conclusion, le patient présentait
une amusie acquise associée à une sévère altération des
émotions musicales définissant l’anhédonie.
L’analyse neuropsychologique fut complétée par la réalisation d’une imagerie par IRM à haut champ (Philips Achieva
3T), 18 mois après la constitution de la lésion. Une acquisition
3D FLAIR avec rendu de volume a été réalisée (Fig. 2). La lésion
comparée à un atlas de référence [12] affectait les aires 22, 21,
38, 42 et 41. Un rendu en trois dimensions de la lésion, du
noyau amygdalien, de l’insula et du cortex auditif primaire fut
réalisé grâce au logiciel BrainVisa (http://brainvisa.info/
index_f.html) (Fig. 3). La lésion était principalement localisée
dans la partie postérieure du gyrus temporal supérieur (BA22),
elle s’étendait latéralement au cortex auditif primaire
(BA41 et 42) et au segment ventral du gyrus temporal moyen
(BA21).

Fig. 2 – La séquence FLAIR (Fluid-Attenuated Inverse Recovery, pondération T2) utilise le temps écho (TE) : 1,8 ms, temps
inversion (TI) : 353 ms, temps répétition (TR) : 5000 ms, angle retourné 180, longueur du train écho : 221 ms, taille voxel
0,5 T 0,5 T 1,0 mm. La lésion apparaı̂t en violet et le gyrus de Heschl en rose sur les 3 premières images. La 4e image est une
reconstruction 3D, où la lésion apparaı̂t en vert.
Pour citer cet article : Hirel C, et al. Amusie acquise et anhédonie musicale. Revue neurologique (2014), http://dx.doi.org/10.1016/
j.neurol.2014.03.015

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Fig. 3 – La représentation 3D de la lésion (rouge), de l’amygdale (rose), de l’insula (vert) et du gyrus de Heschl (bleu) a été créée
avec le logiciel Brainvisa, en coupes frontale, sagittale et axiale.

3.

Discussion

Les données relatives aux émotions musicales dans l’amusie
post-lésionnelle sont rares. L’amusie observée à l’issue d’un
accident ischémique cérébral est le plus souvent associée à
des troubles cognitifs d’ordre mnésiques ou dysexécutifs [2].
L’association amusie–anhédonie fonde le caractère exceptionnel de notre observation. De plus, l’érosion affective de ce
patient pour la musique contrastait avec la préservation de
son aptitude à catégoriser sans difficulté l’émotion qu’un
extrait musical devrait susciter.
L’étude des réseaux cérébraux sous-tendant la perception
musicale a largement bénéficié de la tomographie d’émission
de positons et de l’IRM fonctionnelle [13]. La perception et la
mémoire des hauteurs et des mélodies recrutent les aires
auditives temporales et le gyrus frontal inférieur, avec une
prédominance de l’hémisphère droit, et l’amusie congénitale
semble liée à un déficit fonctionnel de ce réseau [14]. Au-delà
de ce réseau fronto-temporal, la perception musicale recrute
un réseau cortical et sous-cortical, impliquant particulièrement le cortex prémoteur dans la perception du rythme [15].
L’imagerie cérébrale fonctionnelle a également permis
d’étudier les réseaux cérébraux impliqués dans le ressenti des
émotions musicales [13]. Les régions concernées sont en
particulier les structures limbiques impliquées dans la
sensation de plaisir et de récompense, principalement le
striatum ventral, le mésencéphale, l’amygdale, le cortex
orbito-frontal et le cortex pré-frontal ventral médial [16].
Une étude en IRM fonctionnelle intégrant des stimuli
musicaux, réalisée chez des patients présentant une anhédonie, a également montré une réduction d’activation des
aires limbiques et para-limbiques impliquées dans le traitement de la récompense [17].
Dans notre cas, l’association d’une amusie associée à une
anhédonie musicale consécutive à une lésion temporale
droite, en l’absence de lésion affectant le système limbique
invite à discuter les liens existant entre les réseaux respectivement engagés dans la perception et les émotions musicales.
Dans ce cadre, Salimpoor et al. [18] ont montré que la
connectivité fonctionnelle entre les régions auditives du gyrus
temporal supérieur et le noyau accumbens, élément du
système limbique, prédisait le jugement émotionnel des

sujets évaluant des stimuli musicaux. Les données rapportées
dans notre cas suggèrent une entrée défaillante dans ce réseau
cortico-striatal en lien avec la lésion temporale. La dissociation entre perception et émotion en matière musicale a
récemment été observée chez les sujets sains de Mas-Herrero
et al. [19] ce qui conforte la notion d’un traitement sélectif.

Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.

Remerciements
Les auteurs remercient Marie-Anne Hénaff pour son aide lors
de la préparation du matériel expérimental.

r é f é r e n c e s

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Pour citer cet article : Hirel C, et al. Amusie acquise et anhédonie musicale. Revue neurologique (2014), http://dx.doi.org/10.1016/
j.neurol.2014.03.015

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Pour citer cet article : Hirel C, et al. Amusie acquise et anhédonie musicale. Revue neurologique (2014), http://dx.doi.org/10.1016/
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