NOTE

SURDITE, MUTISME ET TROUBLES DU
COMPORTEMENT PAR LESIONS CEREBRALES
BITEMPORALES
Marc Rousseaux et Philippe Devos
(Service de Clinique Neurologique, Centre Hospitalier Regional, Lille)

Des lesions bitemporales superieures et bitemporoparietales limitees et relativement symetriques peuvent etre responsables chez l'homme, de deficits de
l'audition avec negligence, de perturbations du langage et de troubles du comportement (Pick, 1892; Mott, 1907; Thiebaut, Lemoyne et Wolinetz, 1944;
Lhermitte, Chain, Escourolle, Ducarne, Pillon et Chedru, 1971; Earnest, Monroe
and Yamell, 1977; Graham, Greenwood and Lecky, 1980).
L'etude recente d'une de ces rates observations nous permet de mieux definir
la symptomatologie clinique et d'insister sur un mode evolutif particulier des
troubles du langage.
OBSERVATION CLINIQUE

Madame A.A. Has., 29 ans, de culture et de langue kaby1e mais analphabete,
epileptique ancienne bien equilibree par Ie phenobarbital (15 cg/j), accouche a7
mois 112 de gestation, d'un enfant mort ne. L'avortement est lie a une anomalie
placentaire. Dix j ours plus tard survient une nouvelle crise convulsive generalisee
au decours de laquelle est constate un deficit brachiofacial droit avec aphasie.
A l'entree, quelques heures plus tard (23/211981), la conscience est satisfaisante. Le deficit moteur interesse la face et Ie membre superieur droit et respecte
Ie membre inferieur. Les reflexes osteotendineux sont normaux aux membres
superieurs, les reflexes achilleens sont polycinetiques. 11 n'y a pas de signe de
Babinski.
L'expression verb ale est extremement reduite, incomprehensible pour l'entourage familiaL La malade ne comprend pas son mari, parlant Ie kabyle. Lors
des examens et des soins, se manifestent une opposition et une agitation. Le fond
d'oeil est normaL L'auscultation thoracique et des vaisseaux cervicaux est sans
particularite. La frequence cardiaque est de llO/mn, la tension arterielle a 15/8
(mm Hg), la temperature rectale a38° c. 11 existe une infection uterine. La vitesse
de sedimentation est legerement augmentee (21 mm la 1ere heure) , mais la
numeration et la formule sanguines sont normales. Le liquide cephalorachidien
contient 0,3 eIements/mm3 et 0,3 gr de proteines/1. Les examens realises ulterCortex (1983) 19, 557-568

558

Marc Rousseaux et Philippe Devos

ieurement, l'electroencephalogramme et surtout l'angioscintigraphie cerebrale,
les etudes scanographiques et l'arteriographie carotidienne bilaterale, montrent
des lesions bilaterales, temp oro parieto insulaires. Le bilan entrepris a la
recherche d'une septicemie, d'une endocardite ou d'une autre pathologie cardiaque, vasculaire ou renale, est normal. L'infection gynecologique guerit rapidement sous antibiotiques.
L'evolution des symptomes neurologiques est particuliere. Le deficit moteur
droit disparait totalement en quinze jours. On constate ulterieurement une
amimie faciale importante, et l'absence de mouvements automatiques des bras a
la marche, alors que la demarche est normale. L'expression verb ale est extremement reduite et reste incomprehensible pour Ie mari, sans qu'il soit possible de
faire preciser si Ie trouble du langage est de type phonetique ou semantique. La
malade est tres indifferente et ne reagit pas aux stimuli verbaux. Elle n'execute
aucun ordre oral (exprime en kabyle), mais comprend et execute la plupart des
ordres gestue1s (utilisation d'objets, execution de gestes). La non reactivite et
l'indifference auditive s'exercent it l'egard des bruits les plus divers, dec1enches en
dehors de son champ visuel. 11 n'y a aucune plainte exprimee quant it ce defaut
d'afference auditive. Par ai1leurs, l'entourage familial et medical est reconnu, la
patiente ne se perd pas dans Ie service, elle s'habille, se lave, mange seule,
lentement. Le comportement general evoque, par Ie manque de reponses aux
stimuli, par l'amimie, une inaffectivite, une indifference. Cependant, des phases
d'opposition aux examens, aux soins, it l'entourage, persistent. Elles sont tres
brusques, breves, aucune mimique gestuelle ou faciale ne les annonce.
Apres la sortie du service, Ie 17/4/1981, une amelioration se poursuit pendant
Ie premier mois passe au domicile. Le langage spontane, en kabyle, est devenu
comprehensible. 11 est reduit it de rares mots, it de rarissimes phrases courtes de 2 a
3 mots, assez bien articulees, sans paraphasies, jaillissant en formules automatiques spontanees, surtout Ie matin. Mais persiste une areactivite totale ala parole
d'autrui, et une indifference aux bruits. La repetition de ses propres paroles ne
peut etre obtenue. 11 n'y a aucune reaction lorsque Ie mari, se plas:ant derriere elle,
frappe dans ses mains ou l'appelle. Une seule fois, la malade ira decrocher Ie
telephone. Les actes de la vie quotidienne sont realises lentement, mais correctement, sans erreurs (cuisine, menage).
Dans un second temps evolutif, les symptomes neurologiques s'aggravent.
Cette transformation est progressive, sur plusieurs semaines. Le langage se reduit
et toute expression verb ale disparait. Des troubles du comportement apparaissent et inquietent l'entourage. Les therapeutiques, la nourriture, les sorties sont
refusees. Des episodes d'hetero et surtout d'auto-agressivite plus franche surviennent, tres demonstratifs, mais sans reelle violence. Ils motivent Ie transfert
transitoire en milieur psychiatrique Guillet 1981).
La malade est rehospitalisee Ie 2717/1981 dans Ie Service de N eurologie.
L'akinesie faciobrachiale persiste. La motricite volontaire et reflexe est normale,
la reactivite aux stimuli douloureux aussi. L'inattention auditive est majeure. 11
existe une inattention visuelle plus legere non lateralisee qui fait qu'elle toume
diffice1ement la tete vers l'interlocuteur place lateralement. Le mutisme est
absolu. On cons tate un important defaut d'initiatives et toujours une opposition
aux examens. Les ordres gestue1s simples sont executes. Une exploration plus
complete des fonctions symboliques et auditives est alors realisee. Ulterieurement, apres la sortie (14/8/1981), la patiente regagne l'Algerie. Dans son milieu
familial traditionnel, l'adaptation est meilleure. Les troubles comportementaux
et l'agressivite regressent partiellement.

Surdite, mutisme et trouble du comportement par lesions cerebrales bitemporales

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EXPLORATIONS COMPLEMENTAIRES

A - Angioscintigraphie cerebrale au D. T.P.A. Tc 99m. Sur la scintigraphie
statique apparait a la 3eme heure une hyperactivite bilaterale, hemispherique
externe, plus etendue et plus haute sur l'hemisphere droit.
B - Angiographies carotidiennes (16/3/1981). A droite, les branches arterie1les temporales, anterieure et moyenne, ne sont pas visualisees. L'artere temporale
Fig. 1 - Examen scanographique 45 jours apres constitution de [,infarctus. Lesion des
deux lobes temporaux superieurs debordant sur les structures pari hales inferieures.

Marc Rousseaux et Philippe Devos

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posterieure est tres mal injectee. I1 existe une stase dans l'artere du gyrus angulaire. A gauche, les arteres temporales, anterieure, moyenne, posterieure, et
l'artere du gyrus angulaire ne sont pas visua1isees. Les arteres parieta1es anterieure et posterieure sont mal visib1es au temps precoce et sont revascu1arisees
largement par les branches termina1es de l'artere cerebrale anterieure.
C - Examens scanographiques. Le premier (25/2/ 1981) et Ie second (3/3/1981)
examen realises apres injection intraveineuse de Methrizamide sont largement
artefactes du fait de l' agitation. II existe une hypodensite bitemporale et une prise de
contraste dans la region temporo insu1aire et temporo parietale gauche. Le troisieme
examen (10/4/1981; Figure 1) montre une hypodensite bilaterale predominant sur
1es regions temporales. Les lesions interessent (Dejerine, 1980) les premieres circonvolutions temporales (T1), 1es circonvolutions temporales profondes (Tp), les
regions insu1aires posterieures, les regions parietales inferieures. A droite, les
lesions sont un peu plus anterieures, notamment, au niveau de l'insu1a. A gauche,
e1les s'etendent plus vers la region du pli courbe.
D - Examens des voies auditives. L' otoscopie est normale adroite. A gauche il
existe une discrete retraction tympanique.
Fig. 2 - Potentiels evoques auditifs precoces recuillis au vertex. Etude sur 10 msec.
Normalite des ondes I a VI obtenues par stimulation droite (en haut) et gauche (en bas).

D

lom~L
•",sec.

G

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561

1 - Audiometrie tonale. L'epreuve tentee a deux reprises est difficile a
interpreter compte-tenu des problemes poses par l'explications de la consigne et
l'oppositionisme. II existe une areactivite majeure aux stimuli.
2 - Potentiels evoques auditifs precoces (2717/1981; Figure 2). Ils sont
etudies par stimulations binaurales et monaurales, droite et gauche. 2048 x 2
stimulations a 15 cycles/sec. Recueil au vertex. Analyse sur 10 msec. Les ondes I
et VI sont bien definies, de latence et d'amplitude normales, symetriques. Les
seuils auditifs sont normaux. II n'y a pas d'onde VII.
3 - Potentiels evoques auditifs tardifs (3117/1981; Figure 3). Etudies par
stimulations monaurales droite et gauche, 8 series de 100 stimulations a 0,5
cycles/sec. (tone burst de bruit blanc sur 240 msec.). Recueil au vertex et en
position C3-C4. Reference a l'oreille homolaterale. Analyse sur 500 msec. Par
stimulation droite, les potentiels tardifs sont individualisables. On enregistre au
vertex une onde negative bifide (97 et 125 msec.). En C3-C4, cette meme activite
Fig. 3 - Potentiels evoques auditifs tardifs etudies sur 500 msec. (8xlOO stimuli). En
haut: stimulation droite et recueils au niveau C3 (1) et C4 (2). En bas: stimulation gauche et
recueils en C3 (3) et C4 (4). Les potentiels evoques sont relativement desorganises, surtout lors
de la stimulation gauche.

1

2

3
4

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562

III -

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Fig, 4 - Ecriture, Graphisme. 1) La copie du cube est imparfaite mais correcte, comptetenu du niveau culture!' 2) L'ecriture copiee est possible avec des erreurs discretes compte-tenu
egalement du niveau culturel: lettres en miroir, omissions. 3) Ecriture sans erreur du nombre de
doigts presentes par l'examinateur.

est presente a 95 msec. Par stimulation gauche, les potentiels sont mal individualisables, quelque soit Ie lieu de recueil. On enregistre en C3 et C4 une onde
negative a 75 msec.
4 - Reactions comportement ales et reflexes aux stimuli auditifs elementaires. Les stimuli elementaires (appel, claquements de mains) n'entrainent
aucune reaction. Quand un bruit, tres fort, est genere aquelques metres, en dehors
du champ visuel (porte se refermant brusquement par exemple), survient une
legere et inconstante reaction d' orientation de la tete. Le reflexe cochleopalpebral
est conserve et faible.
E - Etude des fonctions symboliques (juillet-aout 1981).
1 - Afferences auditives et expression orale. 11 n'y a pas de reaction notable
aux items verbaux, ni non plus aux items non verbaux, ces derniers etant enregistres sur bande magnetique (sonnerie telephonique, pleurs d'eofant, aboiements, sirene des pompiers, moto, reveil matin, oiseaux). La malade parait
legerement intriguee pendant l'epreuve. 11 n'y a aucune reaction aux sons musicaux. Vne tentative d'examen de la comprehension verb ale est realisee, en kabyle,
par l'intermediaire du mari, bilingue et tres cooperant. Aucun ordre simple n'est
ebauche. Aucun objet n'est designe dans une serie de 3. L'inattention auditive est
majeure. La lecture labiale n'est pas utilisee. L'atteinte de l'expression orale est
totale, spontanement, en denomination d'objets, en repetition. 11 n'y a aucune
vocalisation spontanee ou apres stimulation auditive, visuelle, somesthesique.
2 - Autres connexions. Les afferences visuelles permettent de faire realiser a
la malade un ensemble d'operations et d'ordres simples, mais une sollicitation

Surdite, mutisme et trouble du comportement par lesions cerebrales bitemporales

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importante est necessaire du fait de l'apathie:
a - Expression faciale et gestuelle par imitation. Sont realises l' ouverture et la
fermeture de la bouche, la protraction de la langue, la fermeture des yeux, la mise
du doigt sur Ie nez, Ie geste de se gratter l' oreille, de poser les mains sur la table. Le
salut militaire n'est pas obtenu.
b - Utilisation d'un objet. La malade reussit a decouper une feuille de papier
se10n des pointilles. Elle fait un usage correct du stylo et des objets de la vie
courante.
c - Ecriture et graphisme. Avant l'accident vasculaire, la patiente, analphabete, connaissait les 20 premieres lettres de l'alphabet et savait compter, oralement et par ecritjusqu'a 50. L'ecriture copiee de son nom et d'une courte phrase
est possible, avec des erreurs: lettres en miroir, omissions (Figure 4). La copie des
chiffres est realisee correctement, ainsi que l'ecriture du nombre de doigts presentes par l'examinateur. La copie des figures graphiques simples, cercle, carre,
est realisee sans erreur. CelIe du cube est imparfaite mais correcte compte-tenu du
niveau culture1 (Figure 4). Celle de la Figure de Rey aussi; les dessins s'ameliorent
avec les essais. Les operations arithmetiques simples ne sont pas executees mais la
malade n'en etait pas capable auparavant. Spontanement, au cours de l'epreuve,
elle ecrit, dans l'ordre, les chiffres de I a 9.
d - Appariement de formes et de couleurs. Ce1ui des formes est execute,
apres demonstration partielle, sans erreur. 2 series de 6 formes sont presentees: I
cercle, Ilosange, 2 triangles, I trapeze, I carre. Ce1ui des couleurs est execute sans
consigne.2 series de 5 rectangles colores sont presentees: rouge, bleu,jaune, vert,
blanc.
e - Les epreuves plus complexes ne sont pas realisees: appariement d'une
image (chien) avec une autre image (niche) a choisir parmi 5: table, niche,
lunettes, manteau, robinet; appariement d'une fonction demontree (fumer) avec
une image (pipe) a choisir parmi 5: niche, table, savon, lunettes, pipe. Les
epreuves d'assemblage d'objets et des cubes de Kohs de la W.A.I.S. ne sont pas
realises.
DISCUSSION

Un infarctus sylvien bilateral, dont les lesions preclominent sur les zones
temporales superieures et temp oro parietales, est donc responsable d'un deficit
massif de l'attention de l'integration auditive, d'une aphasie, de modifications du
comportement, evoluants vers Ie mutisme.
I - L'inattention auditive et la surdite corticale
L'angiographie, l'angioscintigraphie et l'examen scanographique definissent
des lesions qui touchent les zones des gyri de Heschl et les aires corticales
avoisinantes. Leur role dans l'integration auditive est bien demontre, chez
I'homme et chez l'animal (Ce1esia, 1976). Les resultats de l'examen scanographique sont tres proches des constatations de Earnest et al. (1977), et de Graham et
ai. (1980).
L'importance de l'inattention auditive, l'absence de reactivite aux divers
stimuli verbaux et musicaux, contraste avec la possibilite de contacts visue1s. Elle
fait evoquer la surdite corticale, decrite par Henschen (1916). Dan les tableaux
cliniques severes, les troubles phasiques sont pratiquement constants et peuvent,
comme chez notre malade, confiner au mutisme (Earnest et aI., 1977). L'impor-

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Marc Rousseaux et Philippe Devos

tance des deficits distingue Ie cas de Mme AA de la surdite verb ale pure et de
l'agnosie auditive (Liepmann, 1898; Thiebaut, Lemoyne et Wolinetz, 1944; Vignolo, 1969; Lhermitte et al., 1971; Albert, Sparks, Stockert and Sax, 1972;
Zollner, Karnahl and Pedersen, 1977).
Le concept de surdite corticale se definit dans l'absolu par une absence de
perception sonore en rapport exclusif avec des lesions corticales, temporales. A la
lecture des observations publiees, il apparait pourtant que la surdite totale n'est
pas un element constant et permanent. Chez un premier groupe de patients, elle
est transitoire. L'evolution se fait en quelquesjours vers l'agnosie auditive, et les
malades sont d'ailleurs examines it ce stade. (Chavany, 1945; Ziegler, 1952;
Jerger, Weikers, Sharbrough and Jerger, 1969; Lhermitte et aI., 1971. Haguenauer, Schott, Michel, Dubreuil et Romanet, 1979). Dans un second groupe
d'observations proches de la notre, Ie tableau clinique est severe, sans tendance it
l'amelioration (Wernicke et Friedlander, 1883; Mills, 1891; Marchand, 1904;
Mott, 1907; Goldstein,BrownandHollander, 1975; Earnest et al., 1977; Graham
et al., 1980). Un deficit important de l'expression verbale est frequent. Les
patients n'expriment pas ou peu leur surdite. Celle-ci est deduite de modifications
comportementales. L'audiometrie tonale est difficile ou impossible it realiser.
Certains sujets de ce second groupe presentent comme Mme AA des reactions d'orientation episodiques vis it vis de stimuli auditifs simples tels une
sonnerie de telephone ou une sonnette de porte (Goldstein et al., 1975; Earnest et
aI., 1977). Cette possibilite d'integration auditive elementaire est expliquee par Ie
fonctionnement des centres sous corticaux. Le malade de Goldstein (1975) reagit
d'ailleurs it ce type de stimulus en affirmant ne pas Ie percevoir. L'experimentation animale eclaire cette symptomatologie en montrant que la discrimination
de l'intensite de la frequence et de la duree des sons peut etre reapprise apres
ablation des cortex auditifs (Goldberg, Diamond and Neff, 1957; Scharlock, Neff
and Strominger, 1965).
La normalite des potentiels evoques auditifs precoces (ondes I it VI), prouve
l'integrite du tronc cerebral (Earnest et al., 1977; Graham et aI., 1980). L'absence
d'onde VII est d'interpretation plus delicate; elle pourrait evoquer l'atteinte des
voies reliant les corps genouilles au cortex (Stockard and Rossiter, 1977).
Les potentiels evoques tardifs correspondent tres vraisemblablement it l'activite de zones associatives. Sur nos traces, les activites recueillies au vertex et en
zone parietale sont mal structurees lors des stimulations auditives gauches. Ceci
pourrait etre un argument en faveur de lesions plus importantes du cortex auditif
droit. Nous n'avons pas enregistre l'activite evoquee en regard du lobe temporal
lui-meme qui est souvent perturbee dans ce type d'affection (Haguenauer et al.,
1979; Graham et al., 1980; Barat, 1980).
En definitive, en cas de lesions bilaterales etendues des aires auditives, existe
une surdite tres importante it la phase aigUe, relative ensuite, puisque des reactions d'orientation sont possibles. EIle est, dans tous les cas, responsable d'un
isolement sonore, qui aggrave sans doute l'aphasie et les troubles du comportement.
II - La reduction du /angage et l'aphasie
La reduction et l'alteration de l'expression verb ale de notre malade sont
d'emblee tres importantes. 11 n'y a pas de paralysie faciale ou de la deglutition qui
permettent d'evoquer un syndrome bioperculaire. 11 n'y a pas non plus d'apraxie
buco-faciale. Fait particulier, l'evolution, d'abord favorable, se fait, apres deux it

Surdite, mutisme et trouble du comportement par lesions cerebrales bitemporales

565

trois mois, vers une reduction progressive, puis une disparition de toute expression orale. Or, il n'y a pas eu de nouvel accident ischemique.
Pour expliquer la severite du tableau initial, on pourrait evoquer l'extension
des lesions vers les regions frontales et l'aire de Broca de l'hemisphere gauche.
Cependant en cas de telles lesions unilaterales, Ie trouble phasique est different,
moins severe, avec anarthrie. De plus, ces regions sont semble-t-il respectees dans
les observations anatomiques de Marchand (1904) et de Mott (1907) et, dans
notre cas, l'examen scanographique montre des lesions temporales et temporoparietales. Vne seconde explication, plus plausible, fait intervenir la presence des
lesions bilaterales touchant les zones d'elaboration du langage. Dans la mesure ou
une lesion temp orale ou temporo-parietale de l'hemisphere majeur entraine une
aphasie de Wernicke, la presence de la forte reduction du langage doit etre liee ala
presence complementaire des lesions droites. Levineet Mohr (1979)et Cambier et
al. (1982) ont souligne, en cas de lesions bilaterales, l'importance des destructions
hemispheriques droites dans la genese de la reduction et de l'alteration de l'expression verb ale.
QueUe est par ailleurs Ie mecanisme du mutisme aphasique qui s'installe
secondairement? Vne reduction voisine du langage est decrite dans trois cas de
surdite corticale prolongee avec lesions bitemporales. Dans l'observation de
Marchand (1904), une enfant de quatre ans, qui causait parfaitement, devient
sourde et perd l'expression de la parole lors d'une meningoencephalite. 11 ne reste
dans les mois suivants que quelques mots simples, mal articules, puis Ie mutisme
et la surdite sont absolus. Dans Ie cas presente par Mott (1907), toute parole
spontanee disparait, la malade est dans l'incapacite presque totale de dire a haute
voix ce qu'elle ecrit ou de reciter l'alphabet. Le malade de Earnest et al. (1977)
presente, apres ischemie bitemporale, une reduction tres franche du langage, sans
anarthrie, et l'evolution se fait egalement vers un mutisme total.
Dans les cas precites, comme chez Mme A.A., nous sommes tentes de relier
cette evolution.a la perte du feed-back auditif. Ce phenomene est evoque pour
expliquer la reduction evolutive du langage dans certaines surdites verb ales
(Poncet, Ali-Cherif et Lecours, 1979). 11 est assez proche de ce qui peut etre
constate dans le cadre des surdites peripheriques chez l'enfant. 11 rappelle aussi, a
un degre plus important, les perturbations du langage induite dans les cas
d'aphasie, non fluentes surtout, par un retard induit artificiellement du feed-back
auditif (Boller, Vrtunski, Kim and Mack, 1978).
III - Les troubles comportementaux
L'indifference, l'apparence inaffectivite, l'oppositionisme sont des elements
importants du tableau clinique. Les troubles du comportement sont signales dans
de nombreuses observations presentant des lesions bitemporales (Sabouraud,
Gagnepain, Chatel et Menault, 1976). Ils sont cependant variables en fonction de
la topographie lesionnelle. Dans les cas de surdite corticale, dans les cas d'agnosie
auditive, celles-ci sont temporales externeset superieures. Sont alors decrits un
apragmatisme (Lemoyne et Mahoudeau, 1959), une labilite emotionnelle, une
tendance depressive (Ziegler, 1952), une agressivite (Le Gros-Clark and Russel,
1938; Graham et al., 1980). Ils peuvent conduire les malades en milieu psychiatrique, comme dans notre cas. Ces troubles du comportement ne sont pas tres
eloignes de ceux constates dans les lesions frontales. Ils sont, bien sur, proches des
constatations faites, chez l'homme, apres excision bilaterale dans Ie cadre du
traitement chirurgical de l'epilepsie temporale (Terzian, 1958). Nous n'avons pas
constate, chez notre malade, de modifications des comportements oraux et

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Marc Rousseaux et Philippe Devos

sexuels, qui caracterisent les lesions bitemporales internes, mais qui ont pu etre
constatees en cas d'infarctus sylvien bilateral par Graham et al. (1980).
CONCLUSION

Cette observation illustre la severite des lesions temporales et temporo-parietales bilaterales et l'importante des troubles perceptifs, aphasiques et comportementaux. Ceux-ci restent circonscrits Ii des fonctions intellectuelles et relationnelles precises, ne sauraient donc faire evoquer Ie diagnostic de demence ou de
syndrome schizophrenique. lIs perturbent cependant, de fa<;on majeure la vie
sociale et affective.
RESUME

Les auteurs decrivent l'observation d'une femme de 29 ans presentant des
lesions ischemiques bilaterales des lobes temporaux superieurs et des regions
temporo-parietales. A l'importance reduction du langage qui s'aggrave secondairement, s'associent un tableau evocateur d'une surdite corticale et des troubles
du comportement avec oppositionisme.
L'etude des fonctions symboliques permet de montrer que les fonctions
occipitales et des connexions reliant Ie systeme visuel et les fonctions graphiques
et praxiques manuelles sont en grande partie respectee. Cette observation permet
une discussion sur la surdite corticale et l'evolution tres particuliere des troubles
du langage.
ABSTRACT

The case of a 29 years old woman with bilateral ischemic lesions in superior
temporal and temporo-parietal areas is presented. An important speech reduction evolving toward muteness is associated to cortical deafness and behavior
perturbations.
The study of symbolic functions shows the partial respect of occipital activities and connexions between visual system and areas supporting graphism and
manual praxia. The mechanisms of cortical deafness and secondary muteness is
discussed, with reference to the previous descriptions.
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Surdite, mutisme et trouble du comportement par lesions cerebrales bitemporales

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Dr Marc Rousseaux, Service de Clinique Neurologique" 2 Place de Verdun, 59000 Lille, France.